Le Centre est Tyrannique

Le centre est tyrannique, disait Arnheim...

Oui, il l'est, mais c'est aussi la porte de l'infini, si on y réfléchit bien... La nature aime les symétries, les fractales, les formes radiales qui ont aussi un centre, qui sont générées par un centre.

Nous parlons d'infini, de voir ce qui n'est pas visible. Dans mes photos, il y a toujours une partie de matière, concrète, construite, et une partie de ciel, dans des proportions variables. Le ciel dans mes photos n'est pas simplement un arrière-plan. L'œil s'attarde d'abord sur la moitié inférieure où se trouve la matière dense, l'explore, recherche les correspondances ; c'est une recherche laborieuse, ensuite, le regard se lève et trouve le ciel, qui n'a pas de centre, n'a pas de symétrie, ou peut-être est-ce la forme suprême de la symétrie, celle absolue et pacifiée, et enfin se repose.

Nous tendons vers la symétrie parfaite parce que nous sommes humains, nous possédons une symétrie naturelle, deux yeux, le nez au centre, la bouche, deux bras, deux jambes...

Mais ensuite, il y a ce grain de beauté, cette mèche de cheveux d'un seul côté, cette courbe du menton, qui rendent imparfaite notre symétrie corporelle, et il est surprenant de comprendre que c'est ce défaut qui est le secret de la beauté. Je me souviens du travail d'une artiste américaine. Nancy Burson, qui photographiait des visages, les divisait en deux, retournait une moitié et créait des visages en miroir faits cependant de deux moitiés droites et de deux moitiés gauches... La symétrie devenait parfaite mais les deux visages qui en résultaient étaient non seulement différents l'un de l'autre, mais aussi inquiétants et froids. C'est le défaut qui fait le charme, et c'est ce que j'ai cherché à trouver dans les villes, dans les bâtiments construits.

Extrait d’une interview par Michele Smargiassi